30/10/2023

Louis-Victor, Luzy-Wuzy, un archiduc hors du commun


Louis-Victor, Luzy-Wuzy,

 un archiduc d’Autriche hors du commun 





Louis-Victor de Habsbourg-Lorraine en 1850


Le plus jeune frère de l'empereur François-Joseph Ier est né à Vienne le 15 mai 1842.

Parle de lui est aller à l’encontre de toutes les idées sur la famille impériale d’Autriche, dont bienséance et mariage constituaient les deux piliers. Après la mort de leur unique fille, Marie-Anne, en 1840 à l’âge de 4 ans, l’archiduc François-Charles et l’archiduchesse Sophie désiraient avoir une autre fille. Le 15 mai 1842, Sophie donna naissance à un garçon, prénommé Louis Victor Joseph Antoine. La mort de sa fille avait été un chagrin immense pour Sophie. La mort de sa mère le 13 novembre 1841 l’avait laissée désemparée. La naissance du petit archiduc n’a pas laissé de trace particulière, le journal de sa mère ne commençant qu’en 1843.  





L'archiduchesse Sophie d’Autriche en 1849


 



L’archiduc François-Charles en 1850


Avec déjà trois garçons, l’avenir de la dynastie était assuré. L’archiduchesse Sophie allait pouvoir considérer le nouveau-né comme le sien, sans devoir particulier envers la Maison d’Autriche et, de fait, allait pouvoir le gâter, sans tenir compte des impératifs d’une éducation stricte. Bubi, c’était son surnom, bien plus jeune que ses frères, allait en profiter, voire en abuser. Il était charmant et amusant. Les jeux, les bals et les travestissements d’enfants étaient de règle à la Cour et dans la famille impériale. Et il n’était pas rare de voir le jeune garçon déguisé en fille, au grand amusement de sa mère. Il est difficile de dire s’il était intelligent au vu de ses succès scolaires, quasi inexistants. Il n’aimait pas étudier.  



L’archiduc Maximilien en 1853


Son frère Maximilien n’aimait pas non plus les heures d’étude, mais il se révéla intelligent par la suite et sut conquérir la popularité dans son entourage. François-Joseph, toujours flatté dans orgueil dynastique, qui le rendait distant, aimait étudier mais ne brilla jamais. Quant à Charles-Louis, il était entre les deux. Il ne fut ni reconnu pour son intelligence, ni passa pour un paresseux. « Il ne deviendra jamais intéressant » disait de lui sa mère. 




L’archiduc Charles-Louis en 1848


Maximilien et Bubi étaient indisciplinés, voire rebelles, tout autant qu’on puisse l’être dans la famille impériale, mais hélas superficiels. François-Joseph et Charles-Louis, plus sérieux, étaient de bons garçons obéissants. François-Joseph, Maximilien et Charles-Louis, les trois premiers se glissèrent dans le moule de la bienséance, pas le  dernier. 



L’empereur François-Joseph en 1851



Tous les quatre avaient une fâcheuse tendance à se moquer de leur entourage, y compris de leurs professeurs. Sophie aimait ses enfants mais ne se leurrait pas sur leurs qualités et encore moins sur leurs défauts. 


Bubi n’était donc pas sans lui poser de problèmes mais elle ne refusa jamais son amour maternel. En 1850, il avait alors huit ans, il écrivait : « Ma bien chère Maman, Je me porte bien. j’espère que vous êtes bien arrivé ( sic) à Olmütz. Je me réjouis de vous voir bientôt. Je vous baise les mains. Vôtre très obéissant fils, Louis. » 



Lettre du 20 avril 1850



Plus tard, il lui écrira ce poème « Très chère Maman ! / Je ne voudrais ce beau jour / que vous parler de mon amour. /Mais puisque cet amour m’inspire / Bien plus que je ne puis vous dire, / Ou veux que ce soit en français, / Ce qui me rend presque niais; / Sachez du moins, ma chère Mère, / Que voulait-on me laisser faire, / C’est-à-dire parler du cœur, / Je vous dirai tout mon bonheur / Que me cause ce jour de fête. / En deux mots donc je vous souhaite: / Que Dieu vous protège, /Et me permette d’embrasser / Pendant mille ans pur comme l’onde, / Ce que j’ai de plus cher au  monde. »




Poème datant probablement de 1851


Louis-Victor et sa mère ont échangé des centaines, voir des milliers de lettres, conservées aux Archives de la Cour et de la Famille Impériale à Vienne. Ce poème montre l’amour que le fils portait à la mère. Et la lecture du Journal de la mère montre combien il était présent dans sa vie. 


Après les facéties de l’enfance, vinrent les désordres de l’adolescence. Sophie avait beaucoup de mal à diriger sa vie et n’hésitait pas à l’éloigner d’elle quand il exagérait. Cet exil affectif était difficilement vécu par Louis-Victor et il revenait repentant. Sa mère avait beau parler de lui avec ses précepteurs, personne n’arrivait à lui inculquer éducation et discipline. Son charme et son savoir-faire lui gagnaient les cœurs, mais pas tous car les dames d’honneur de sa mère se plaignaient de ses mauvaises plaisanteries et de son goût pour papotage et les ragots. 

Lors de la révolution de 1848 à Vienne, il s'enfuit à Innsbruck avec la famille impériale en mars 1848 et puis à Olmütz après le déclenchement de l'insurrection d’octobre . Le 2 décembre 1848, son frère aîné montait sur le trône. 



L’accession au trône de François-Joseph

Le tableau ne reflète pas la vérité car il n’a jamais été couronné empereur d’Autriche


En 1853, au moment du mariage de François-Joseph, il a 11 ans. Sa belle-sœur Élisabeth en a 16. Les deux commencent par bien s’entendre, puis rapidement les choses se gâtent. Il n’a pas douze ans quand dans une lettre à sa mère il écrit que « l’impératrice n’en fait qu’à sa guise. » Il n’a pas tort mais il n’est pas certain que sa mère ait apprécié cette critique. Élisabeth s’est rapidement rendu compte que Louis-Victor la dessert et, s’il continua à admirer sa beauté, ce à quoi elle pouvait être sensible, il ne leur était plus possible d’être amis. 



L’impératrice Elisabeth en 1856


Entré dans l’armée pour suivre la tradition, et non par goût, Louis-Victor fut nommé général d’infanterie, puis eut un régiment à son nom. Devant son peu d’enthousiasme pour la chose militaire mis à part son attrait pour les jeunes soldats, François-Joseph mit fin à sa présence dans l'armée et l’envoya le représenter à Salzbourg, où il retrouva sa tante, l’impératrice-mère Caroline-Augusta, appelée Charlotte par sa famille. La veuve de François Ier y résidait souvent. 



L’impératrice Caroline-Augusta


Son séjour à Salzbourg n’arrangea rien car il y fit de grande dépenses, au désespoir de sa mère qui le lui reprocha. Ces reproches le touchèrent. « Il ne m’est pas possible de compter encore une fois chaque denier, et n’écris plus jamais ainsi à ton fils isolé. » écrit-il à sa mère le 28 novembre 1861.


Le 5 juillet 1862, après un séjour à Munich il écrivit à Sophie qui manifestait ses inquiétudes : « Je ne souhaite qu’une chose ardemment, c’est être auprès de toi pour discuter de tout cela verbalement, ce que je suis trop intelligent pour ne pas faire par courrier, et je peux jurer que tu serais plus satisfaite de moi que jamais et que tu ne m’écrirais plus des accusations aussi profondément blessantes. » 

Puis, « Je sais que cela a toujours été le plaisir des gens de parler à mon sujet, et Dieu merci, de ne dire que des choses qui ne sont pas vraies. Je suis las d’être toujours celui qui est puni… Je peux premièrement te certifier, qu’il ne me viendrait pas à l’esprit, je peux te le promettre, de fréquenter le moins du monde cette personne simplette, et deuxièmement je dois dire qu’Ischl, s’il n’y avait pas toutes mes connaissances, me plaît vraiment très peu. » On ignore de quelle personne il s’agit. 



Louis-Victor en 1860


Sans que rien ne soit jamais dit, et encore moins écrit, à ce sujet il est probable que les tendances sexuelles de son fils n’avaient pas échappé à Sophie. Elle n’était pas prude et pouvait fermer les yeux sur beaucoup de choses mais l’homosexualité était à l’époque, non seulement réprimée pénalement, en Autriche et ailleurs, mais aussi sujette à réprobation. Les recommandations qu’elle lui a fait dans son testament, rédigé en 1862, révèlent ses inquiétudes.« Je prie instamment Ludwig d’être pieux, sage, vrai, honnête, moralement pur et travailleur… » Le «moralement pur » laisse peu de doute sur la connaissance qu’elle avait de la vie dissolue de son fils.


François-Joseph et ses frères, après les chamailleries et les jalousies de leur enfance, s’entendaient bien et n’ont pas été choqués par la sexualité du dernier mais ils ne pouvaient accepter les scandales que son attitude suscitait. En riant François-Joseph aurait dit : « Il faudrait lui donner une ballerine comme adjudant, alors rien ne pourrait arriver ! »


En 1863, Louis-Victor accompagna son frère à Francfort et, en 1867, à une visite d'État à Paris. Cela lui permit de visiter de l’Exposition Universelle et probablement de jouir de la Fête Impériale. 



Louis-Victor et François-Joseph


Si en 1861, il y eut un premier exil à Salzbourg, en 1906, il y en eut un autre, et cette fois définitif. En 1904, Louis-Victor avait reçu une gifle de la part d’un officier auquel il avait fait des avances, dans un établissement de bains, le Zentral Bad. 



Zentral Bad


La vie de Louis-Victor était connue de tous, sa famille, la police, la Cour et le public. Il faut dire qu’il ne se cachait pas beaucoup.  Des nombreuses fois, il fut victime de chantage dont le comte Wimpffen, Grand-Maître de sa Cour, avait payé les sommes extorquées. Il se faisait détrousser par des rencontres de hasard et il fallait racheter les montres volées. On parlait alors dans le rapport de police « d’une rencontre désagréable ». En 1899, le comte Thun-Hohenstein,  son nouveau Grand-Maître, qui méprisait l’archiduc, refusa de continuer à payer. En réalité, personne ne se souciait de ses incartades, jusqu’à ce que soit révélée l’affaire de la gifle par des indiscrétions venant, dit-on, de l’entourage de l’archiduc François-Ferdinand. 


Louis-Victor avait ouvertement blâmé le mariage inégal de son oncle avec la comtesse Sophie Chotek. Et cela ne lui avait pas été pardonné. 



L'archiduc François-Ferdinand et la duchesse de Hohenberg


Parfois cynique, quelques fois spirituel mais souvent moqueur avec son entourage, il ne se fit pas que des amis.


Louis-Victor s’accordait des libertés sur ses choix de vie qu’il n’accordait pas aux autres. Il lui semblait plus grave d’épouser une femme en dehors des règles dynastiques que de se faire arrêter pour racolage ou que de se soumettre au chantage des rencontres de passage. 



Louis II de Bavière en 1874


Louis II de Bavière, son cousin, avait vécu sa sexualité dans le remords et la honte. Cela ne semble pas avoir été le cas de Louis-Victor.


Il n’hésita pas à monter sur scène habillé en femme, probablement dans une comédie satyrique comme le laisse penser la photo. La famille en a peut-être ri jaune. Mais enfant, n’avait-il pas été incité à se travestir par sa mère qui en riait bien fort ? 




L’archiduc Louis-Victor en crinoline


L’aspect désordonné de sa personnalité fut compensé toutefois par une honnêteté certaine. Il avait refusé d’épouser sa cousine germaine, Sophie, sœur d’Élisabeth, au grand désespoir de leurs deux mères. Il avait rejeté l’offre de son frère Maximilien, l'empereur du Mexique, de faire de lui son successeur sur le trône mexicain, comme il avait refusé d’épouser Isabelle de Bragance, fille de l’empereur du Brésil, Pierre II, dont elle était l’héritière.


En fait, Louis-Victor se voulait libre de toute contrainte officielle et de tout lien matrimonial. Satisfait de sa position d’archiduc d’Autriche et de la pension généreuse qui l’accompagnait, il n’ambitionnait rien d’autre.



Son palais viennois sur le Ring


Son goût des arts était certain. En 1863, il fit construire un palais sur le Ring, au 1 place Schwarzenberg, terminé en 1869, dans un style néo-classique italianisant suivant les plans de Heinrich Ferstel. L’archiduc n’avait que 21 ans. Il le meubla avec beaucoup de goût et y organisa des fêtes somptueuses.  



Menu du 17 février 1868


Le couple impérial n’hésitait pas à paraître à ses dîners. 



 






Ecritoire à transformation -  XVIIIe 


Il accumula un grand nombre d’objets d’arts, dont des porcelaine de Meissen, tout au long de sa vie. Il aimait la photographie et n’hésitait pas se faire tirer le portrait.  





Avec un ami au bord de la mer en 1897


Il semble que sa connaissance de l’art ait été profonde, bien au-delà de l’aspect décoratif.


En 1900, le palais fut rénové et, dix ans plus tard, l'archiduc y a installé « l'Association Scientifique Militaire » qui l’occupe encore aujourd'hui sous le nom de «Association des officiers de Neustadt ».


A Salzbourg, également, il se fit bâtisseur. Dès 1866, François-Joseph lui avait attribué la propriété du château de Klessheim, situé à 4 kilomètres à l’ouest de Salzbourg. Vers 1880, il fit édifier une demeure, plus confortable pour l’hiver, dans le parc du château, « la Kavalierhaus ».  




Son château près de Salzbourg 

Schloss Kleßheim 







Kavalierhaus, l’annexe confortable 





La piscine de l’annexe


Bien qu’en exil, à Salzbourg Louis-Victor y fut beaucoup plus aimable et apprécié par la population qu’à Vienne où il était considéré comme un mondain oisif ne passant sa vie qu’entre bals, concerts, théâtre, opéra et scandales. 

Protecteur des arts et mécéne, il fut aussi généreux avec les nécessiteux. En 1869, François-Joseph l’avait nommé protecteur de la Croix-Rouge autrichienne.  



Louis-Victor en 1870


En 1885, il avait contribué à la construction de la Maison des Artistes à Salzbourg, Künstlerhaus, encore très active aujourd’hui. 



En 1887


Pour son soixantième anniversaire, en 1902, il inaugura un pont portant son nom sur la Salzach, la rivière qui traverse la ville de Salzbourg. Son anniversaire fut grandement célébré à Vienne et à Salzbourg.

 


 



Le pont Louis-Victor à Salzbourg



Louis-Victor en 1904


Jusqu’au scandale de 1904, avec la fameuse gifle révélée seulement deux ans plus tard, les relations entre les frères avaient été bonnes. En mai 1896, Louis-Victor avait soutenu son frère Charles-Louis mourant des suites d’une typhoïde contractée pour avoir bu de l’eau du Jourdain lors d’un pèlerinage en Terre Sainte. 

A Salzbourg, sans avoir le droit de revenir à Vienne, il ne revêtit plus l’habit militaire, se contentant de tenues civiles. Il avait une maison composée d’aides de camp, d’un chambellan, d’un secrétaire et d’un valet personnel, avec probablement en plus tout le personnel de cuisine, jardin et écuries. Il n’était pas complètement coupé de sa famille puisque l’empereur vint le visiter une fois ainsi que, plus souvent, ses  nièces, Gisèle et Marie-Valérie.  




L’archiduchesse Marie-Valérie


Cette dernière l’assista dans ses derniers moments. Il allait aussi de temps en temps à Ischl. Il semble qu’il ait légué sa fortune à la veuve, Marie-Josèphe de Saxe, et aux archiducs Charles, futur empereur, et son frère, Maximilien, enfants de son neveu Otto, mort en 1906, après avoir mené une vie encore plus débridée que la sienne. Il lui arrivait de se promener nu dans les couloirs de l’Hôtel Sacher, au grand scandale des clients, dont la femme de l’ambassadeur d’Angleterre, lady Plunkett à laquelle il présenta ses hommages, n’ayant que son sabre pour vêtement.


L’écart de Louis-Victor de la vie de la Cour avait été expliqué comme une mésentente avec l’empereur, mais nul ne fut dupe.  



Vue du château de Kleissheim


En 1915, présentant des désordres mentaux, il fut interné dans son château de Klessheim. Il mourut, d’une pneumonie, le 18 janvier 1919, à l’âge de 77 ans, dernier survivant de la fratrie, sans avoir réalisé la chute de la monarchie deux mois plus tôt. Bubi, également surnommé Luzi-Wuzi (Loulou le fêtard ou le fainéant) n’eut donc pas droit aux funérailles impériales. 

Il repose loin de la Crypte des Capucins, au cimetière de Siezenheim, près de Salzbourg, toujours à part de sa famille. 


Sa sépulture 


Un bon petit diable   en 1844