05/11/2016

Un château en Hongrie : Iszkaszentgyörgy


Château d'Iszkaszentgyörgy
A la fin du régime communiste l’Etat hongrois, à la différence de la République Tchèque, décida de ne pas restituer les biens confisqués en 1945.

La restitution a toujours posé problème en raison des conflits de droits qui en découlaient. Que faire avec les nouveaux propriétaires, qui, bien souvent, s’étaient investis dans ces biens certes mal acquis mais dont ils ne pensaient pas se voir dépossédés un jour ? Quel droit appliquer, celui de l’ancien régime, c’est-à-dire le droit d’aînesse ? Ou celui du nouveau régime, soit l’égalité des héritiers ? 

Façade sur le jardin
Pour résoudre ce problème, on donna en Hongrie des bons du Trésor aux anciens propriétaires. C’est à dire que l’on échangea des pièces d’or contre des assignats. Et on laissa les nouveaux dans les lieux.


Le château sous la neige
Il faut dire qu’en ce qui concerne les grandes demeures, le nouveau propriétaire était l’Etat hongrois lui-même et il ne savait pas trop quoi faire de ces bâtisses devenues des charges lourdes.

Une solution fut adoptée : louer la propriété pour une durée de 99 ans, aux anciens propriétaires à défaut de le restituer, s’ils manifestaient l’intention de revenir vivre en Hongrie. 

C’est la solution choisie pour le château de Iszkaszentgyörgy, pas très loin de Fehervarcsurgö, et aux portes de Sėkesfehėrvar, capitale de la Hongrie royale au Moyen-Age. Mais les anciens propriétaires ne se manifestèrent pas et il fallait trouver un amateur.

Ari Kupsus
Ari Kupsus, finlandais vivant en Hongrie depuis une quinzaine d’années, ami du comte et de la comtesse Georg Karolyi, tomba amoureux de ce château. Ari Kupsus est un mécène dans l’âme, comme le furent Desmond et Mariga Guinness. Il sait mettre son talent au service d’une cause. A Helsinki tout d’abord, où il créa “ Ari Kupsus Salon Concert Society Scholarship”. Cette organisation a but non lucratif a pour objet de lever des fonds en vue d’aider à la scolarité d’étudiant en musique. Ses affaires l’ayant amené à Budapest, en 2000, il décida de s’investir dans la capitale hongroise. Et chacun sait combien la musique y tient une part importante. “ Ari Kupsus Salon Concert Society Scholarship” fut désormais installée. Eva Marton, la sublime soprano hongroise qui a interprété les héroïnes de Wagner ou de Puccini sur les plus grandes scènes du monde du Metropolitan de New-York à la Scala, sans oublier Vérone et Bayreuth, est la marraine des “Salon Concerts”.

Carton d'invitation aux Salons Concerts
Avec l’aide de Laszlo Nemes, de l’Institut Kodály, Ari Kupsus organise depuis, chaque mois, des concerts où viennent se produire des étudiants de l’Institut Franz Liszt de Budapest, une des académie de musique les plus prestigieuses au monde. 

Son Exc. le baron Janos Perenyi, ambassadeur de Hongrie à Vienne et la comtesse Lazslo Karolyi
à un salon concert
Les fonds levés lors de ces concerts permettent de financer des bourses d’études. L’ambassade de Finlande contribue également de façon généreuse à cette entreprise philanthropique. Les bourses d’études sont attribuées par un jury qui se réunit chaque année. Les “Salon Concerts” sont désormais un évènement incontournable de la vie musicale et sociale de Budapest.

Ari Kupsus donc tomba amoureux du château de Iszkaszentgyörgy et décida de lui donner une nouvelle vie.

Le corps principal du château fut construit vers 1735 par le baron Antal Amade, dans le style baroque que l’on trouve un peu partout en Europe centrale. La famille Amade eut un rôle très important au XVIIIe dans la reconstitution de l’Eglise catholique en Hongrie après le Traité de Karlowitz en 1699 qui vit la fin de l’emprise ottomane sur la Hongrie qui durait depuis la défaite de Mohàcs en 1526.

Les Amade comptèrent des conseillers et des chambellans à la Cour de Vienne, ainsi que des conseillers privés mais aussi des poètes et des amateurs de musique. On doit à l’un d’entre eux, le théâtre de Zagreb, construit en 1797.

Des difficultés financières les emmenèrent à vendre la propriété et en 1800 l’évêque de Veszprém, Joseph Bajzáth de Peszak, en fit l’acquisition. Mais il mourut deux ans plus tard laissant le château à son frère, Jean, qui le laissa à son propre fils Georges Bajzáth de Peszak (1791-1869) qui en 1820 entreprit d’importants travaux d’agrandissement. Il agrandit le corps principal en ajoutant deux ailes aux extrémités.

Baronne Valeria Bajzath de Peszak, comtesse von Pappenheim
Sa fille Valeria Bajzáth (1827-1920) épousa en 1865 le comte Alexandre von Pappenheim (1819-1890). Les Pappenheim sont une des plus anciennes familles de la Franconie bavaroise. Comtes médiatisés du Saint-Empire, ils ont droit au prédicat d’Altesses Illustrissimes, “Erlaucht”. Leurs alliances sont illustres et nombreuses, avec des familles comme les Leiningen, les Stadion, les Furstenberg, les Stauffenberg, les Lobkowicz etc… toutes dans la première ou la seconde partie de l’Almanach de Gotha. Les Bajzáth de Peszak étaient eux-mêmes parents de toutes les grandes familles hongroises, comme les Karolyi ou les Zichy.

Armes des Pappenheim
Le couple fut sans doute le premier à vraiment aimer la propriété et leur fils Siegfried (1868-1936) procéda à de grand travaux aux début du XXe siècle en ajoutant une aile, dans le style français du XVIIIe siècle. Siegfried von Papppenheim avait épousé en 1903 Elisabeth Karolyi de Nagy-Karoly (1872-1954).  

Erzsébet Karolyi de Nagy-Karolyi, comtesse von Pappeheim vers 18 ans
La dot de la comtesse fut bien utile pour financer les travaux voulus par son mari. Il faut rappeler que les Karolyi de Nagy-Karoly possédaient la plus grande fortune terrienne de Hongrie, soit plus de 500 000 hectares entre leurs différentes branches.

Erzsébet Karolyi de Nagy-Karolyi, comtesse von Pappeheim 
Ils eurent quatre enfants. Alexander von Pappenheim (1905-1995) qui veuf de Maria Zeyk de Zeykfalva (1912-1974) une aristocrate de Transylvanie, épousa Eduarda, princesse de et à Liechtenstein (1903-2001). Sa soeur, Maria-Dorothea (1908-1991), épousa en 1933 Clemens von Schönborn (1905-1944) Comte de Schönborn-Wisentheim. Sybil (1903-1996) épousa le baron Heinrich von Manteuffel-Szoege (1893-1946), dont la famille est originaire de Courlande. Le plus jeune Georg (1909-1986) épousa Karinvon Weltheim (1913-2008) puis Elisabeth Blankenburg (1924-2008).

Vestibule du rez-de-chaussée
Par ses alliances familiales le couple se trouvait au coeur du réseau princier qui constitue les deux premières parties du Gotha, celui des familles souveraines et des familles médiatisées du Saint-Empire. Dans sa descendance par ses quatre enfants, le couple continua cette série d’alliance prestigieuse avec les Waldburg-Zeil, les Metternich, Les Esterhazy, les Liechtenstein et les Bourbons des Deux-Siciles.

Mais ces ancêtres prestigieux, ces alliances superbes durent s’incliner devant la dure réalité de 1945. La Hongrie ayant été libérée par les troupes de Staline fut intégrée au bloc soviétique. 

Le superbe domaine d’Iszkaszentgyörgy fut saisi par le gouvernement communiste. Alexander von Pappenheim et son épouse durent le quitter laissant la place aux nouveaux occupants, les enfants d’une école installée dans les locaux du châteaux. Les écuries virent les magnifiques chevaux de chasse remplacés par des gymnases. Le jardin à la française disparut. Les terrasses desquelles on peut voir des kilomètres de plaine hongroise se délabrèrent. Les fontaines se tarirent.

C’en était fini de la splendeur aristocratique de la demeure. 

Enfilade de salons
La municipalité d’Iszkaszentgyörgy, à la fin du régime communiste, se vit attribuer la propriété sans but précis. Le bâtiment ne convenait plus aux besoins d’une école contemporaine, ils risquaient de disparaître car devenant inutiles à court terme. 

Grand salon
Il n’était pas question de le restituer aux membres de la famille Pappenheim, qui d’ailleurs n’aurait pas su quoi en faire car partis en exil en 1945, ils avaient refait leur vie dans l’Allemagne de leurs ancêtres. Ils n’avaient plus les moyens de remettre le château en état.

Vestibule du premier étage
Ari Kupsus en tomba amoureux, et après de nombreuses tractations avec les autorités hongroises, obtint le droit de le louer pour une durée de 99 ans. Chacun y mit du sien. La participation de l’Etat hongrois et de l’Union européenne, ainsi que de la Finlande, permit de faire effectuer les travaux nécessaires pour rendre le château à sa nouvelle destination. 

Ari Kupsus et Son Exc. l’ambassadeur de Finlande, Mr Jari Vilén
Ari Kupsus, soutenu par les autorités municipales d’Iszkaszentgyörgy, avec à leur tête, Attila Gáll, pasteur de la communauté protestante de la commune, prit l’engagement de donner à la demeure une dimension artistique internationale. 

Une solution identique à celle du château de Fehervarcsurgö fut donc trouvée. 




Les appartements furent restaurés et meublés grâce à la formidable collection d’Ari Kupsus qui donne l’idée de ce qu’était un château dans la Hongrie aristocratique. Il est d’ailleurs le seul château entièrement meublé en Hongrie, à ce jour. En 1945, tous les châteaux ont été mis à sac et le mobilier détruit ou volé. 

Un petit salon avec les fresques d’origine au mur
Depuis six ans des Master Classes musicales, sont organisées, à côté d’ateliers de peinture. Au mois de juin, chaque année, douze artistes sont les hôtes du châteaux pour dix jours. ils viennent de Hongrie, bien sûr, mais aussi d’Allemagne, de Finlande, de Biélorussie, d’Ukraine, de Slovaquie ou de Slovénie, tous pays proches, mais aussi de beaucoup plus loin, comme l’Inde ou les Etats-Unis.

Un pianoforte
Des classes de chant  sont organisées pour des enfants venant de Finlande avec le concours de  la “Virtus Music School” d’Helsinki. La soprano Mervi Sipola-Maliniemi dirigee ces classes. Des concerts sont régulièrement organisées dans le grand salon. 

De mai à septembre la “Kempele Gardening School” de Finlande envoie des jeunes jardiniers pour trois semaines afin de travailler dans le jardin baroque et le jardin anglais  du château et y apprendre l’art de restaurer des jardins.

L’Institut Kodaly y organise son séminaire annuel, fin août. Et les participants viennent d’Australie, de Hollande, de Grèce, d’Allemagne etc…

“Ari Kupsus Art Gallery” y expose aussi des artistes plasticiens contemporains.

Au mois d'août, Ari Kupsus a organisé le 90ème anniversaire de la baronne Sybil von Manteuffel-Szoege, la dernière des Pappenheim par sa mère, qui vécut au château. Elle avait 18 ans, quand le 16 octobre 1944, elle le quitta. Elle y revient régulièrement désormais. Son ancien appartement, restauré et meublé, est en permanence à sa disposition.

Ari Kupsus et la baronne Sybil von Manteuffel-Szoege
Chambre de Sybil von Manteuffel-Szoege
Les villageois se sentent aussi chez eux car ils y sont accueillis avec chaleur. Sans leur concours rien n’aurait été possible. 

Ari Kupsus et Attila Gall, maire d’ Iszkaszentgyörgy
La passion d’un homme, Ari Kupsus, permet de faire vivre ce bâtiment vestige d’une époque révolue mais qui a retrouvé toute sa raison d’être. Musique, peinture, jardinage, vie sociale sont désormais la nouvelle vie du château d’Iszkaszentgyörgy, somme toute pas très différente de celle qu’il connut autrefois.

Iszkaszentgyörgy dans son cadre
Venir en juin passer quelques jours à Iszkaszentgyörgy et y jouir d’une atmosphère tout-à-fait particulière au milieu de la campagne hongroise, à proximité du Lac Balaton, peut être une superbe étape dans la Hongrie de l’éternelle Sissi.